Avis d’expert – Publié le 7/01/2025
Comprendre l’innervation pelvienne et son rôle dans l’endométriose
Krystel Nyangoh Timoh
Une experte en santé féminine
Le Pr Krystel Nyangoh Timoh, PU-PH au CHU de Rennes, est une spécialiste reconnue en gynécologie, notamment dans l’endométriose et la fertilité. En 2023, elle a été nommée parmi les 40 femmes Forbes, saluant son impact dans le domaine médical. Alliant recherche, enseignement et pratique clinique, elle s’engage pour améliorer la santé des femmes et partager ses connaissances, faisant d’elle une référence incontournable en médecine moderne.
Introduction
L’endométriose est une affection complexe qui touche une femme sur dix en âge de procréer. Cette maladie, définie par la présence de tissu ressemblant à l’endomètre en dehors de la cavité utérine, conduit fréquemment à des douleurs pelviennes chroniques, à l’infertilité et à des perturbations significatives de la vie quotidienne. Bien que les aspects hormonaux, inflammatoires et immunologiques de cette maladie aient été largement étudiés, l’interaction entre l’endométriose et le système d’innervation pelvienne est souvent négligée. Pourtant, comprendre l’anatomie des nerfs pelviens et leur altération dans l’endométriose est crucial pour améliorer la prise en charge des patientes, notamment dans le cadre des interventions chirurgicales. Cet article explore l’anatomie de l’innervation pelvienne, son importance fonctionnelle et les conséquences de sa perturbation dans l’endométriose.
L’innervation pelvienne
Le système d’innervation pelvienne est un réseau complexe qui relie le système nerveux central aux organes pelviens, notamment la vessie, l’utérus, le rectum et le périnée. Au cœur de ce système se trouve le plexus hypogastrique inférieur (PHI), également appelé plexus pelvien. Cette structure bilatérale est essentielle à la régulation des fonctions autonomes sympathiques et parasympathiques du pelvis, jouant le rôle de “tour de contrôle” des activités des organes pelviens.
Anatomiquement, le PHI est situé latéralement au rectum, sous le point d’intersection de l’artère utérine avec l’uretère, et est enveloppé par le paracervix. Il se trouve sous la veine utérine profonde, qui se draine dans la veine iliaque interne. Cette localisation stratégique fait du PHI une structure critique, tant pour les considérations chirurgicales que pathologiques.
Le PHI est alimenté par plusieurs nerfs, notamment les nerfs hypogastriques, les nerfs splanchniques pelviens et les nerfs splanchniques sacrés. Les nerfs hypogastriques, postéro-crâniens, pénètrent dans le PHI en apportant un mélange de fibres sympathiques et parasympathiques. Ces nerfs voyagent dans la fosse pararectale médiale, également appelée espace d’Okabayashi, et sont situés environ deux centimètres en médial par rapport à l’uretère. Les nerfs splanchniques pelviens, postéro-caudaux, contribuent des fibres parasympathiques au PHI. Ils proviennent des branches antérieures des racines sacrées (S2 à S4) et sont également situés médialement dans la fosse pararectale. En revanche, les nerfs splanchniques sacrés, qui proviennent du tronc sympathique sacré, apportent des fibres sympathiques au PHI et longent les nerfs hypogastriques. L’uretère sert de repère anatomique essentiel, divisant la fosse pararectale en compartiments médial et latéral. D’un point de vue crânio-caudal, le croisement de l’artère utérine et de l’uretère délimite le paramètre au-dessus du paracervix situé en dessous.
Fonctions de l’innervation pelvienne
Le PHI joue un rôle central dans la coordination des fonctions pelviennes. Les fibres sympathiques régulent la vasoconstriction, inhibent le péristaltisme et contrôlent les sphincters des muscles lisses, tandis que les fibres parasympathiques favorisent la relaxation des muscles lisses, améliorent le flux sanguin et soutiennent des processus physiologiques tels que la vidange de la vessie et la fonction sexuelle. Les fibres sensitives transmettent des informations cruciales sur la douleur et la pression au système nerveux central, permettant des réponses réflexes et comportementales appropriées.
Au niveau de l’utérus, la distribution des nerfs varie selon les régions. Le col de l’utérus est la zone la plus densément innervée, contenant de nombreuses fibres sensitives qui jouent un rôle clé dans la perception de la douleur et les réponses réflexes. Le myomètre présente une innervation modérée, principalement organisée en plexus sous-séreux et à la jonction endométrio-myométriale. L’endomètre, bien que moins densément innervé, contient des fibres nerveuses autour des vaisseaux sanguins, ce qui suggère un rôle essentiel dans la régulation de la dynamique vasculaire utérine.
Douleur et innervation dans l’endométriose
Dans le contexte de l’endométriose, l’architecture normale de l’innervation pelvienne est souvent profondément altérée. Des recherches ont démontré une densité accrue de fibres nerveuses, en particulier les petites fibres sensitives non myélinisées (fibres C) et les fibres myélinisées Adelta, dans les lésions endométriosiques. Ces modifications sont les plus prononcées à la jonction endométrio-myométriale et dans la couche basale de l’utérus. La présence de fibres nerveuses dans les implants endométriosiques est fortement corrélée à la sévérité des symptômes douloureux. Cette réponse neuroplastique, stimulée par l’inflammation chronique et l’interaction entre les tissus endométriosiques et les fibres nerveuses avoisinantes, conduit à une sensibilité accrue et contribue souvent à une sensibilisation centrale. La sensibilisation centrale survient lorsque des stimuli douloureux répétés abaissent le seuil d’activation des nerfs, créant une boucle de rétroaction qui perpétue la douleur chronique et l’inconfort.
L’endométriose infiltrante profonde (EIP) met encore plus en évidence la relation complexe entre l’endométriose et l’innervation pelvienne. Les lésions d’EIP se caractérisent par une implication nerveuse significative, avec des fibres sensitives, sympathiques et parasympathiques présentes au sein des tissus affectés. Cette innervation dense et anormale explique le large éventail de symptômes associés à l’EIP, allant de douleurs pelviennes sévères à des troubles urinaires et intestinaux. L’interaction entre les lésions endométriosiques et les fibres nerveuses exacerbe non seulement la douleur, mais perpétue également l’inflammation, l’angiogenèse et la croissance des lésions, compliquant encore davantage la présentation clinique et la prise en charge de cette maladie.
Implications chirurgicales
La proximité du système d’innervation pelvienne avec les structures couramment touchées par l’endométriose pose des défis importants dans la gestion chirurgicale. Par exemple, les ligaments utéro-sacrés, souvent impliqués dans l’endométriose, sont étroitement liés au PHI et aux nerfs hypogastriques. La dissection chirurgicale dans cette région présente un risque élevé de lésion nerveuse, ce qui peut entraîner une rétention urinaire, une incontinence fécale et des dysfonctionnements sexuels, tels qu’une diminution de la lubrification vaginale et de la sensibilité.
La paramétrectomie, une procédure fréquemment réalisée dans les cas avancés d’endométriose, implique l’ablation de tissus autour du croisement de l’artère utérine et de l’uretère pelvien, à proximité immédiate du PHI. Pour minimiser les complications fonctionnelles, les chirurgiens utilisent de plus en plus des techniques de préservation nerveuse. Ces approches visent à préserver les nerfs autonomes critiques tout en assurant une résection complète des lésions endométriosiques.
La chirurgie assistée par robot a transformé le paysage des procédures de préservation nerveuse. La visualisation haute définition offerte par les systèmes robotiques permet aux chirurgiens d’identifier et de protéger des structures nerveuses délicates, telles que les nerfs hypogastriques et les nerfs splanchniques pelviens, avec une précision sans précédent. Cette approche innovante souligne l’importance de combiner des techniques chirurgicales avancées à une compréhension détaillée de la neuroanatomie pelvienne.
Conclusion
Comprendre le réseau complexe de l’innervation pelvienne est fondamental pour appréhender la physiopathologie et la gestion de l’endométriose. La préservation nerveuse, associée aux avancées en imagerie et aux traitements ciblés, représente une étape cruciale pour améliorer la qualité de vie des patientes atteintes d’endométriose. La recherche interdisciplinaire continue sera essentielle pour exploiter pleinement le potentiel de ces innovations et relever les défis posés par cette affection complexe.
Voir la bibliographie
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